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L'actualité de la HEG-FR

L'invité de la rédaction: Gestion de crise: expérience demandée!

24 juin 2020

Article d'Eric Décosterd, paru dans "Entreprise romande", le journal bimensuel de la FER Genève.

L’ancien champion poids lourd Mike Tyson avait coutume de dire: «Tout le monde a un plan… jusqu’au moment où tu te prends un poing en pleine face». Ce qui est valable en boxe l’est également dans le monde de l’économie et dans celui de l’administration publique. Nous avons connu beaucoup de crises. Rappelons-nous: Seveso, Bophal, Tchernobyl, Schweizerhalle, mais aussi, dans un autre registre, les subprimes et la crise grecque. Les crises ont toujours fait partie de notre environnement.

Depuis quelques temps, toutefois, les phénomènes s’accélèrent et s’amplifient. À la différence des crises précédentes, celle provoquée par le Covid-19 touche quatre dimensions à la fois: sanitaire, sociale, économique et financière et ce, mondialement. C’est la crise systémique par excellence!

La plupart des gouvernements et des organisations privées sont préparés aux crises. Les cellules de crise existent, les procédures sont connues, le principe «diagnostic, action, décision » est appliqué, la communication est jugée fondamentale… et pourtant on constate dans l’action, ici comme ailleurs, que certaines décisions sont prises sans réel diagnostic, qu’elles ne sont pas comprises par manque de cohérence, et que la communication est souvent contradictoire. Les exemples ont été suffisamment mis en exergue dans les médias ces dernières semaines pour que nous ne soyons pas obligés d’y revenir. Bornons-nous simplement à nous demander pourquoi.

Parce que la gestion de crise est un mélange de planification et d’improvisation. Dans toute crise, il existe des situations tellement imprévisibles qu’il n’y a pas de réponse préparée et adaptée. Improviser consiste donc à s’adapter sans paniquer. Ceux qui proposent une méthodologie permettant de faire face à n’importe quel imprévu et de rétablir la situation dans les meilleurs délais flirtent avec la publicité mensongère. C’est en fait l’expérience et le vécu qui permettent aux acteurs d’improviser des réponses et de faire la différence. Cette improvisation fera souvent appel à de la connaissance tacite, qu’il est difficile d’apprendre ou de partager dans une salle de classe. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé en Suisse aux particuliers et aux indépendants. Comment survivre sans revenu et avec des coûts fixes qui courent? Comment réduire de moitié son offre en surface et rouvrir un restaurant ou un salon de coiffure? La plupart des Suisses n’avaient pas été formés à cela. Il a fallu improviser, et vite!

Dans la crise du Covid-19, le caractère exceptionnel impliquait une incertitude forte sur ses causes, son déroulement et ses solutions. C’est peut-être dans ce genre de situation que l’improvisation est préférable à un suivi aveugle de procédures certes définies, mais inadéquates. C’est l’incertitude forte qui provoque une utilisation innovante des ressources et renforce la créativité des solutions. L’improvisation se caractérise également par une rapidité d’exécution, dans la mesure où le temps écoulé entre la décision et l’action est réduit. Or, le retour d’expérience à chaud sur le Covid-19 semble indiquer que la maîtrise a été d’autant plus efficace que les décisions prises furent rapides.

Mais revenons à la gestion de crise proprement dite. Paradoxalement, l’art d'improviser ne s’improvise pas. Il faut créer au sein des organisations une véritable équipe pluridisciplinaire et plurigénérationnelle qui réussit ensemble ou échoue ensemble. Elle pourra progresser en ne répétant pas les mêmes erreurs. Si la fameuse deuxième vague devait effectivement arriver vers la fin de l’année, les équipes en place, ici comme ailleurs, seraient probablement plus efficaces. Engager et former des personnes compétentes est nécessaire; mais il est au moins aussi important d’avoir à disposition des personnes expérimentées. Ceux qui ont déjà affronté des crises se comportent différemment de ceux qui ont été seulement formés à la gestion de crise! Là comme ailleurs, l’expérience est demandée.