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« Un entrepreneur, c’est un artiste de l’action » - HEG-FR Magazine

15 juin 2020

« Les artistes ont beaucoup à apprendre de l’entrepreneur, mais l’entrepreneur a aussi beaucoup à apprendre du monde des artistes », estime Louis Jacques Filion qui a fait beaucoup de terrain, étudiant tant des entrepreneurs classiques que ceux émanant des domaines des arts. Il s’est intéressé aux industries créatives, un domaine peu exploré par ses pairs. Dans un ouvrage collectif, il a rassemblé des études de cas mettant en lumière cette proximité ainsi que cette complémentarité entre artistes et entrepreneurs.

Si les entrepreneurs ne devaient retenir qu’un conseil des artistes, ce serait celui de rêver, estime ce chercheur reconnu : « Rêver, suivre son intuition, ne pas se laisser arrêter en pensant que c’est impossible. Les artistes ont des frontières en général plus larges que celles de l’entrepreneur, même si elles apparaissent souvent moins réalistes. »

De leur côté, les artistes peuvent également prendre exemple sur les entrepreneurs. «Si un artiste veut partager son art, il aura avantage à s’ajuster aux particularités du marché dans lequel il évolue», suggère ce connaisseur du monde des arts, souvent en contact avec des créateurs. Une démarche que les professionnels des domaines des arts ont parfois du mal à accepter et à adopter. Louis Jacques Filion raconte le tollé qu’a suscité l’une de ses présentations à des étudiants en arts lorsqu’il leur a conseillé de s’inspirer des entrepreneurs afin de mieux s’ajuster à leur marché potentiel. «Ils ont été nombreux à lever la main en guise de protestation : «Professeur, nous prends-tu pour des prostituées ? Le monde doit découvrir notre art, notre talent. Ce n’est pas à nous à nous ajuster, il revient au public à nous découvrir.» Il s’agit là d’une attitude très fréquente chez les artistes.»

Mais s’il veut partager son art, un artiste devra, comme le dit si bien Louis Jacques Filion, « ajouter des gouttes d’eau d’extraversion à son âme d’artiste souvent très introvertie pour attirer l’attention et l’intérêt du public sur ses créations. » Et apprendre à bien s’entourer. Afin de mieux prospérer, un inventeur de produits aura avantage à s’adjoindre les conseils d’un innovateur de processus, comme l’illustrent bien les Ballets Jazz de Montréal. Fondés par deux danseurs, Eva Von Genscy et Eddy Toussaint, leur développement a été assumé par une troisième partenaire (ancienne danseuse de ballet elle aussi) Geneviève Salbaing, devenue pour les besoins de la cause une entrepreneure de processus. Celle-ci a fait prospérer la troupe et lui a fait atteindre une renommée internationale exceptionnelle grâce à son réseau, à ses habiletés d’organisatrice et à son flair quant à l’identification de situations opportunes.

Reste que la prospérité est difficile à atteindre pour la majorité des entreprises artistiques. Nombre d’entre elles ont comme principal objectif de faire connaître le travail d’une seule personne qui travaille à son compte, désignée comme un autopreneur. S’il prend sous son aile d’autres artistes, il se transformera alors en autropreneur et dirigera une entreprise qui pourra prendre davantage de croissance. Mais souvent, le développement restera modeste. « Plus de 90% des entreprises affichent un niveau d’innovation bas », selon ce chercheur, « et les entreprises des domaines des arts ne font pas exception. L’entreprise assure un emploi à son créateur mais ne génère pas beaucoup de profit. Il s’agit alors d’un travailleur autonome qui crée une microentreprise pour pratiquer à la fois son art et un certain style de vie.»

Moins de 10% des entreprises font preuve d’un fort niveau d’innovation. Lorsque l’innovation génère assez de surplus, le dirigeant peut embaucher du personnel, déléguer des tâches et poursuivre le développement de l’entreprise. «Le responsable travaille alors sur le développement de l’entreprise tandis que les autres assument les opérations dans l’entreprise», explique le professeur.

Le célèbre Cirque du Soleil, sur lequel cet auteur prolifique prépare un prochain livre, fait partie de ces rares entreprises du domaine des arts dotées d’un fort taux d’innovation. La croissance exponentielle de cette entreprise de divertissement (44 spectacles permanents en 2020) s’explique en grande partie par une compréhension fine de ses créateurs des contextes dans lesquels elle évolue. «En trois décennies, ces saltimbanques ont métamorphosé la culture de Las Vegas, qui était une ville de jeux et de prostitution et ils en ont fait la métropole mondiale du divertissement familial. Les créateurs du Cirque du Soleil ne sont pas tous des artistes, nous y retrouvons un mix d’organisateurs de spectacles qui embauchent des artistes», précise Louis Jacques Filion. «Mais, en réalité, les artistes qui deviennent des autropreneurs sont relativement peu nombreux.»

Un livre pionnier

Avec cet ouvrage, Louis Jacques Filion a souhaité casser la glace et intéresser autant les praticiens et les chercheurs que les étudiants au monde des artistes, des créateurs et des entrepreneurs. Présentant des exemples d’entreprises émanant du bouillonnant milieu créatif québécois dans les domaines du design, du cinéma, de l’édition, du théâtre, des galeries d’art et autres, les auteurs ont tenté de mieux comprendre la dimension de l’entrepreneur chez l’artiste et celle de l’artiste chez l’entrepreneur.

Louis Jacques Filion (sous la dir.) 2017, « Artistes, créateurs et entrepreneurs », Montréal, Del Busso éditeur, 261p.

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